Le risque climatique et extra-financier ?
20 novembre 2018
Évaluer les risques de la transition énergétique, les risques climatiques et le niveau d’investissement responsable et durable est une nouvelle problématique pour les marchés financiers.
Les risques extra-financiers existent depuis toujours mais n’ont jamais été calculés de manière précise. Ils englobent les risques environnementaux, sociaux et de gouvernance. Depuis une dizaine d’années, certaines entreprises les intègrent sous l’appellation RSE (Responsabilité Sociétale des Entreprises) qui vient compléter la publication des bilans et autres comptes de résultats financiers.
Depuis plusieurs années, un indicateur international ESG (Environnement, Social, Gouvernance) a progressé en notoriété et vise à intégrer plusieurs dizaines de critères qualitatifs et quantitatifs sur le respect de certaines normes et le degré d’implication des entreprises à prendre en compte les risques de transition énergétique, les risques physiques/climatiques, le respect de l’environnement, certains aspects sociaux ainsi que de la gouvernance de chaque entreprise.
La recrudescence des problèmes climatiques, la montée en puissance de l’intérêt des peuples à vivre au sein d’une économie durable, d’une société plus juste ainsi que la multiplication des sommets internationaux traduisant une volonté de s’attaquer à ce vaste sujet ont renforcé l’implication du monde de la finance à intervenir sur cette problématique.

Suite à l’Accord de Paris sur le climat (COP21), la France est devenue pionnière dans le développement d’une croissance plus verte au travers de la loi n°2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte*. Cette loi fixe les objectifs d’un nouveau modèle énergétique français et encourage une croissance verte en réduisant la facture énergétique de la France grâce au développement des énergies dé-carbonées.
Plus particulièrement, l’Article 173 définit l’obligation pour les investisseurs institutionnels de publier avec transparence leur intégration des critères ESG, leur participation à la transition énergétique et la limitation du changement climatique pour leurs opérations d’investissement dans leur rapport annuel.
Les indicateurs de risques extra-financiers d’un portefeuille
De nombreuses organisations internationales ont proposé des indicateurs pertinents pour mesurer l’ensemble des risques climatiques ou des critères E, S et G. Parmi elle, la TCFD Task Force on Climate-related Financial Disclosure* publie régulièrement des recommandations dans ce sens. Elles sont suivies par les différents fournisseurs de données extra-financières qui mettent à disposition des investisseurs de nombreux indicateurs (entre 100 et 400 par entreprise).
Que ce soit pour l’indicateur ESG, l’empreinte carbone, le taux d’activité brune, le niveau d’implication dans des controverses fortes ou des activités éthiquement controversées, les calculs sont réalisés sur la base des informations fournies dans les rapports annuels des entreprises, les publications diverses émanant des entreprises, des autorités, des médias, de la justice, au travers de calculs directs, d’estimation par des modèles statistiques, ou des extrapolations en fonction du secteur d’activité.
Par conséquent, ces indicateurs reflètent le niveau de transparence des entreprises et leur disposition à divulguer les informations nécessaires aux calculs de ces indicateurs. Cependant, il existe quelques contraintes dans l’utilisation de ces données brutes. Des informations mal/peu/pas transmises engendrent des indicateurs avec un score biaisé. Les investisseurs ont aussi besoin que l’univers couvert par les fournisseurs de données soit maximal et prenne en compte plusieurs dizaines de milliers d’entreprises cotées pour obtenir un résultat interprétable et fiable. Les structures des fonds dans lesquels ces indicateurs sont calculés sont parfois complexes, multi-niveaux, ce qui nécessitent un travail de recherche et de développement conséquent.
Aujourd’hui, le calcul de risques climatiques et d’alignement de l’investissement sur des objectifs de croissance verte et durable est soutenue par une réglementation de plus en plus présente. Certains gestionnaires d’actifs et certains pays commencent à utiliser ces critères respectivement dans leurs choix d’investissement et de réglementation, convaincus que le risque extra-financier sera bien plus important à long terme que les fluctuations boursières et les cycles économiques. A terme, l’idée est de pouvoir anticiper ces risques au travers de Value At Risk et de Stress Test climatiques (par exemple stress tester l’impact d’une taxe carbone sur un portefeuille d’actifs). L’idée sous-jacente est également de désinvestir les actifs risqués ou de couvrir ces risques d’une manière ou d’une autre (dérivés…).
Les gestionnaires de fonds ou d’actifs sont désormais obligés de réaliser des reportings sur ces indicateurs et sur les actions qu’ils comptent mettre en place pour les améliorer, comme pour un rating de crédit. Ce besoin nécessite donc quelques investissements pour les gestionnaires d’actifs (fournisseurs de données, gestion de reporting).
En parallèle, continuer d’investir sur des entreprises qui se démarquent par le non respects de certains critères peut faire fuir les investisseurs et mettre en danger ces fonds.
En évitant d’investir sur des entreprises aux activités risquées (nucléaire, charbon, fourrure), aux aspects sociaux trop bas (taux de suicide des employés, parité homme femme), à la gouvernance faible (constitution de la direction, absence de comité de vérification des comptes), ne prenant pas en compte les risques de la transition énergétique (diversification du mix énergétique, arrêt du charbon), qui continuent d’exercer dans des zones dangereuses (zones inondables, zones cycloniques), la rentabilité devrait être plus stable sur le long terme (volatilité plus faible et performance plus robuste).
Le risque extra-financier deviendra finalement un risque financier majeur et devra être pris en compte par les gestionnaires de portefeuilles. D’ici quelques années, la corrélation entre extra-financier et financier sera mieux mesurée, comprise et considérée.
L’avènement de la Finance Responsable
Les nouvelles générations d’individus se soucient de l’état de la planète. Ce sujet est devenu majeur même s’il ne représente que les prémices d’un changement qui se veut beaucoup plus important.
Si les investisseurs et gestionnaires d’actifs veulent limiter l’impact des effets climatiques qui se font de plus en plus sentir et si les normes dans ce domaine se multiplient, alors oui, nous entrons doucement dans l’ère de la Finance Responsable. Cette finance modifiera profondément l’économie comme on la connaît à moyen terme puisque le désinvestissement des entreprises qui ne font pas d’efforts forcera celles-ci à revoir leur modèle économique. Mais, pour cela, les normes doivent être mieux définies, imposées et être les mêmes pour tous.
Aujourd’hui, il existe plusieurs certifications et labels permettant d’identifier les fonds responsables et durables. Nous pouvons par exemple citer le label ISR (Investissement Socialement Responsables) et le label TEEC pour les fonds « verts » (Transition Energétique et Ecologique pour le Climat). Il faudra néanmoins bien évidemment faire attention aux investissements effectifs des fonds certifiés par ces labels et rester attentif au « green washing ».

Enfin, le changement actuel de notre façon de consommer et de notre système économique doit nécessairement être porté par les acteurs politiques (pour la structuration) et les acteurs économiques (pour l’application). Des études estiment que 70% des étudiants d’aujourd’hui exerceront un métier qui n’existe pas encore. De nombreuses opportunités vont être créées dans le domaine du risque climatique et de la mesure de la performance extra-financière, notamment en finance de marché. D’ailleurs, de nouveaux postes alliant la connaissance des produits financiers (analyste, quant), le calcul statistique ainsi que la mesure des indicateurs environnementaux, sociaux et de gouvernance voient déjà le jour. Faire le lien entre les métiers très techniques de la finance et des aspects plus humains (social, gouvernance) ne peut qu’apporter plus de sens aux métiers de la finance qui peuvent parfois en manquer cruellement.
Les prochaines étapes du reporting extra-financier
Aujourd’hui, le marché du reporting extra-financier n’est pas mature et peu normé. Il existe de nombreux fournisseurs de données d’entreprises qui appliquent des algorithmes différents. La diversité des produits financiers rend difficile le calcul d’un indicateur unique qui puisse permettre de comprendre l’orientation/le risque d’un portefeuille ou de la stratégie d’investissement. Comment différentier/assimiler le risque d’une obligation, d’une action, d’une dette souveraine, d’une obligation convertible ou d’un dérivé ?
L’Europe doit normaliser le futur du reporting extra-financier dans les mois qui viennent et le comité de Bâle devrait se réunir sur ce sujet pour la prochaine directive qui sortira dans les prochaines années ; tous les acteurs financiers devront suivre leurs recommandations.
Les Nations Unis ont publié leur propres recommandations SDG* (Sustainable Development Goals) qui devraient s’appliquer aux pays avec des objectifs clair fixés pour 2030. Ces objectifs sont en cours d’adaptation pour les entreprises qui commencent à rapporter sur ces 17 objectifs définis de développement durable.
En conclusion, le changement climatique n’est pas un effet de mode mais une volonté internationale de s’atteler à réparer la planète que nous détruisons petit à petit. Cet effort historique doit faire intervenir tous les acteurs économiques et la finance devra être un moteur pour agir vite et respecter les contraintes temporelles fixées lors des sommets internationaux. De nombreux métiers devraient voir le jour dans ce domaine à court terme comme celui d’Analyste R&D.
