Les évolutions de la LCB/FT : Retour sur la Conférence de l’ACPR

Les évolutions de la LCB/FT : Retour sur la Conférence de l’ACPR

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La Conférence de l’ACPR qui s’est tenue le 17 novembre a été le cadre d’une table ronde consacrée aux évolutions en matière de LCB/FT. Elle a été l’occasion d’échanges entre des représentants de l’ACPR, du GAFI et de la Direction Générale du Trésor.

Les intervenants sont notamment revenus sur les enjeux auxquels les états et les établissements assujettis à la LCB/FT sont confrontés, dans un contexte de tensions géopolitiques, de renforcement des dispositifs européens et des standards internationaux ainsi que des évolutions technologiques.

Alors qu’un douzième train de sanctions est en préparation en lien avec la guerre en Ukraine, le nombre de personnes ou d’entités listées à cause de ce conflit représente déjà près de la moitié des mesures de gel applicables en France.

Désormais, les instances politiques se concentrent également sur la lutte contre le contournement de ces sanctions, ce qui nécessitera une vigilance accrue des opérateurs et entreprises non actuellement assujetties à la LCB/FT, sans doute avec l’aide des institutions financières.

Par ailleurs, les innovations technologiques comme les crypto-actifs, les paiements instantanés ou les IBANs virtuels, qui peuvent être employées à des fins légitimes, créent des problématiques nouvelles voire peuvent être utilisées comme moyens de dissimulation ou de contournement.

Dans cet article, nous reviendrons sur ces différents enjeux, les constats et les travaux ou évolutions en cours qui ont été abordés par les différents intervenants.

L’accroissement des entités sous sanctions et la lutte contre le contournement

Si le représentant de l’ACPR a notamment souligné que les institutions financières avaient su se montrer réactives lors de la mise en place des précédentes sanctions, le représentant de la DGT, Chef du bureau de la Lutte contre la criminalité financière et des sanctions internationales, a précisé que le sujet évoluait en permanence et que ces institutions étaient confrontées à de nouvelles problématiques, créées par exemple lorsque des entreprises qui s’étaient montrées attentistes décident de cesser ou retirer leurs activités de ces territoires.

Il a aussi mis en avant la priorité politique donnée à la lutte contre le contournement de ces sanctions, qui va au-delà des avoirs ou des transactions financières, mais concernent également la fourniture de biens interdit d’exportation mais qui parviennent tout de même en Russie voire sur les champs de bataille, par le biais de « pays rebonds ».

Cette priorité se traduit notamment par la publication récente (le 7 septembre) par la Commission Européenne de lignes directrices destinées aux opérateurs pour les accompagner dans cette lutte.

D’après le représentant de la DGT, cet objectif nécessitera que les institutions financières et autres acteurs assujettis à la LCB/FT contribuent à diffuser cette culture d’identification des bénéficiaires finaux auprès des acteurs non assujettis, tout en continuant bien sûr à mettre eux même en œuvre les mesures nécessaires à l’identification des bénéficiaires effectifs d’une transaction ou du détenteur d’un compte.

Le représentant de l’ACPR, Directeur adjoint de la Lutte contre le blanchiment des capitaux et de la lutte contre le terrorisme, est aussi revenu sur les contrôles effectués en 2022 et 2023 auprès des établissements de crédit et des organismes d’assurance.

Les résultats de cette campagne feront l’objet d’une synthèse dans une publication prochaine de l’ACPR, mais il a mis en avant les constats sur les thèmes suivants :

La réactivité des acteurs, déjà mentionnée.

L’importance des prestataires externes et de la maitrise des relations avec ceux-ci par leurs clients, que ce soit pour l’obtention des listes ou les outils de détection eux-mêmes.
Il a notamment été constatés des problèmes de délais ou de qualité des données.

L’aspect primordial du juste paramétrage des outils par les clients, entre un paramétrage trop strict conduisant à ne pas identifier les entités sanctionnées, et une recherche trop approximative ayant pour effet de ne pas permettre le traitement correct et efficace des alertes pertinentes.

La nécessité pour les établissements de disposer de données de qualité et complètes sur leurs clients.

Les évolutions réglementaires européennes

Les participants ont tous mis en exergue la coordination et la convergence des travaux menés par les différentes autorités ou organisations internationales. Si l’ACPR, la DGT et le GAFI sont intervenus lors de cette table ronde, ils ont souligné l’importance de la collaboration avec l’IOSCO, le Conseil de Stabilité Financière, le FMI, le Comité de Bâle mais également leurs homologues.

Actuellement, l’un des enjeux majeurs de l’évolution du dispositif de LCB/FT concerne évidemment la préparation et l’adoption du paquet AML 6 et la création de l’AMLA. Si certains sujets font déjà l’objet de positions communes, de nombreux point restent en discussion au niveau du trilogue européen (Parlement, Conseil de l’Union, Commission), et auront souvent des impacts précis et concrets.

La priorité actuelle est de finaliser le texte qui créera l’AMLA, notamment car elle devra définir de nombreux textes d’applications. Une étape importante en ce sens sera l’élaboration d’une méthodologie commune pour déterminer les entités qui seront sous supervision directe de l’AMLA. Après un accord il y a 18 mois au niveau du Conseil, les discussions se poursuivent pour parvenir à un accord avec le Parlement. Idéalement, il faudrait pouvoir clore ces négociations avant la fin de la mandature actuelle, mais à ce jour cela semble difficilement réalisable.

Cette table ronde a été l’opportunité de rappeler que Paris a déposé il y a quelques jours sa candidature pour accueillir la nouvelle autorité, et que cette localisation offre de nombreux atouts : attractivité pour des profils de haut niveau, qualité du dispositif LCB/FT français qui est parmi les mieux notés selon la GAFI, et que Paris est justement déjà la ville du GAFI, en accueillant déjà son secrétariat mais aussi 2 à 3 réunions plénières chaque année.

Deux grandes conditions pour la réussite de la mise en place de l’AMLA ont été relevées : L’anticipation et la coordination.

  • L’anticipation doit permettre d’élaborer de nombreux textes en très peu de temps. Le projet de règlement qui crée l’AMLA prévoit plus d’une cinquantaine de textes de niveau 2. Certains seront des adaptations de textes existants, mais il est nécessaire que les travaux permettent de préparer dès à présent des options parmi lesquelles l’AMLA pourra choisir après sa création juridique. Parmi les sujets importants et sources de discussions, les intervenants ont mentionné :
    • La méthodologie d’analyse des risques, qui nécessite de faire converger les classements et cotations des risques. En outre, le Parlement propose de retenir une évaluation sur la base du risque résiduel et non du risque inhérent. Si cela est retenu, il faudra convenir d’une évaluation commune des dispositifs qui permette d’atténuer ce dernier.
    • La manière dont les entités d’un même Groupe et le Groupe lui-même, qui peuvent présenter des niveaux de risques différents, sont évalués. Ce point rejoint les questions sur les entités qui devront être placées sous supervision directe.
    • La nécessité de disposer de données de bonne qualité pour cette analyse des risques. Ceci implique de pouvoir élaborer ces données pour que les établissements financiers aient le temps de les obtenir ou de les produire, de mettre en place la transmission sans doute vers les autorités nationales dans un premier temps.
  • La coordination est évidemment nécessaire pendant la phase préparatoire des textes et la phase de transition, mais elle restera nécessaire ensuite pour la phase d’activité courante. C’est ce qui a été constaté notamment pour l’Eurosystème ou pour le Mécanisme de Surveillance Unique. A ce stade, les autorités échangent beaucoup entre-elles afin de créer une culture commune. Mais cette coordination devrait se faire naturellement car elle est déjà de rigueur dans d’autres contextes : par exemple, ce sont plus de 50 autorités européennes qui se réunissent dans le format de l’unité de supervision LCB/FT, couvrant les banques, les marchés et les assurances. Les autorités prudentielles devront elles aussi être incluses dans cette coordination, et elles disposent d’informations utiles.

Les travaux du GAFI et la révision des standards

Au-delà de l’enjeu européen que représente la mise en place d’AML 6 et de l’AMLA, la Secrétaire Exécutive du GAFI a fait le point sur les travaux en cours et les récentes évolutions des standards publiés par le Groupe d’Action.

L’un des fondamentaux pour la lutte contre le blanchiment, le financement du terrorisme et le contournement des sanctions est l’obligation de transparence pour identifier le bénéficiaire effectif d’une transaction.

Le GAFI vient d’adopter un premier lot de lignes directrices visant à renforcer cette obligation et à aider à l’application des standards correspondants, et une consultation est en cours sur les instruments qui peuvent être utilisés afin de dissimuler l’identité des bénéficiaires effectifs.

Lors de la conférence, la Secrétaire exécutive du GAFI a indiqué qu’un rapport devait être publié dans les prochains jours concernant les « Golden Passports » et les abus possibles et risques qu’ils présentaient pour le contournement des sanctions. Ce rapport a été publié le 22 novembre.

Un autre chantier très important pour le GAFI, concerne la « travel rule », c’est-à-dire les informations qui doivent accompagner les transferts internationaux de fonds pour identifier le bénéficiaire voire connaitre l’objet de la transaction dans certains cas, afin d’aider les différents acteurs impliqués dans la chaine à exercer leur vigilance.

Récemment, le standard sur le recouvrement des actifs volés ou blanchis a également été révisé. L’objectif est d’améliorer le taux de recouvrement, qui étaient en dessous de 2%, afin que ces fonds puissent profiter au développement économique et de renforcer l’intérêt de la mise en place d’un régime de lutte contre le blanchiment pour les pays membres. En effet le retour sur investissement par rapport au coût d’un tel dispositif peut être extrêmement fort et contribuer à une croissance économique durable.

Néanmoins, dans ses travaux le GAFI vise à éviter des conséquences inattendues ou non souhaitées, notamment :

  • Que certaines juridictions appliquent les standards de manière abusive, voire aillent jusqu’à interdire certaines pratiques jugées risquées, plutôt que de mitiger ce risque. Ceci concerne en particulier les ONG, dont les plus légitimes peuvent être pénalisées par des limitations mises en place pour éviter des actions ou transactions problématiques impliquant d’autres ONG.
  • Que l’inclusion financière soit réduite, et qu’ils deviennent impossible ou trop coûteux pour certaines personnes de rester dans les circuits financiers officiels.

Les actions du GAFI couvrent aussi l’évaluation des dispositifs de lutte contre le blanchiment, et celui-ci fait évoluer la manière dont ces évaluations sont réalisées :

Les rapports seront davantage orientés vers les risques présentés par le pays évalué, et apporterons des recommandations plus ciblées pour permettre la mise à niveau rapide de son dispositif de LCB/FT. Un nouveau cycle d’évaluation mutuelle de ses pays membres va être lancé en 2024, et la périodicité d’un tel cycle devrait être réduite à six ans, alors qu’elle était de dix à onze ans par le passé.

Les évolutions technologiques

Au premier plan des évolutions technologiques, la conférence a longuement abordé le sujet des actifs numériques : une table ronde consacrée à la supervision de ceux-ci a eu lieu l’après-midi et a largement traité de la mise en œuvre prochaine de la réglementation MICA.

La table ronde sur l’évolution de la LCB/FT a cependant rappelé que les dispositions réglementaires évoluaient d’un enregistrement simple des PSAN, imposant notamment des exigences en matière de LCB/FT, d’honorabilité et de compétences des dirigeants, à un enregistrement renforcé.

Entre temps, l’ACPR a accompagné ces acteurs en faisant de la pédagogie, en adaptant son questionnaire annuel pour le contrôle permanent des dispositifs LCB/FT, en élaborant des principes d’obligations particulières pour ce secteur mais aussi en effectuant des contrôles sur places chez une dizaine de PSAN.

Lors de la table-ronde, il a cependant été demandé aux PSAN de veiller à déposer des dossiers de qualité, et d’échanger avec l’ACPR pour bénéficier d’un accompagnement, mieux comprendre les attentes, et ainsi pouvoir y répondre et permettre l’étude de leur demande plus rapidement.

Toujours sur les cryptos-actifs, les intervenants ont rappelé que le GAFI comme l’Union Européenne avait adressé ce domaine très tôt, dès 2019 dans les standards du GAFI et avant même le lancement de la 5e Directive.

Pour l’avenir, le paquet AML 6 inclut notamment un texte qui sera applicable fin 2024 et qui étendra la « travel rule » à ces actifs numériques.

 

La table ronde a également abordé les évolutions que sont les paiements instantanés, et les IBANs virtuels.

Les premiers se développent pour apporter de la rapidité aux opérateurs, mais cette rapidité ne doit pas se faire au détriment du respect des obligations de LCB/FT ou du gel des avoirs et autres sanctions.

La Commission européenne a proposé que les établissements émetteur et récepteur de telles opérations filtrent les données de la base client, et non pas les données de la transaction elle-même.

Les IBANs virtuels quant à eux peuvent avoir un usage légitime, mais peuvent aussi masquer aux intermédiaires qui est l’émetteur ou le bénéficiaire d’un transfert de fonds, voire masquer le pays où le compte est détenu.

Parmi les pistes envisagées figurent un registre des IBANs virtuels, sur le modèle du FICOBA, ou l’obligation qu’un IBAN virtuel soit associé au même pays que le compte maitre auquel il correspond.

En conclusion…

Les intervenants ont donc souligné lors de cette table ronde, mais plus globalement lors de cette après-midi que la gestion des risques et la LCB/FT sont au cœur de l’action des autorités réglementaires et de supervision, et que les évolutions récentes du contexte macro-économique ont démontré la résilience des acteurs du secteur.

En réponse à une question sur un récent arrêt de la cour de cassation qui juge qu’un manquement aux obligations de LCB/FT peut être constitutif d’une faute de concurrence déloyale de la part d’un organisme qui s’affranchi de celles-ci[1], il a été répondu qu’une telle décision était une bonne nouvelle, et qu’elle venait renforcer par un deuxième « angle d’attaque » l’obligation de disposer d’un dispositif de LCB/FT et de réaliser les investissements nécessaires.

un article rédigé par…

Loïc BERTRAND

Co-directeur de la practice Risques, Conformité et Réglementaire

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